J’ai pensé que si je répétais mon nom suffisamment de fois, je retrouverais mon identité. Je l’ai écrit dans la terre. Je l’ai écrit dans la poussière. Mais un nom est une étiquette, un substitut. Il ne révèle pas toute l’histoire. Un nom, c’est comme une bassine qui fuit et que l’on doit sans cesse remplir. Si on ne le fait pas, l’eau s’épuise. La bassine reste là, telle une coquille sèche et vide.
La fille au sourire de perles, Clemantine Wamariya et Elizabeth Weil
Editions Les Escales – 2019
Présentation éditeur :
Un témoignage nécessaire qui nous incite à regarder au-delà du statut de victime. Clemantine Wamariya livre une histoire poignante et inspirante qui révèle l’importance de chaque existence et la puissance du récit.
Rwanda, 1994. Clemantine a six ans lorsqu’elle doit fuir les massacres avec sa grande soeur Claire. Sans nouvelles de leur famille, déplacées de camps de réfugiés en camps de réfugiés, elles affrontent la faim, la soif, la misère et la cruauté pendant six ans avant d’arriver aux États-Unis.
À Chicago, Clemantine est recueillie par un couple aisé et découvre soudain une toute autre réalité. Projetée dans un véritable rêve américain, l’adolescente est pourtant plus perdue que jamais. Une question s’impose alors : comment se reconstruire et donner un sens à son histoire après avoir vécu l’enfer ?
Sincère, urgent et bouleversant, La Fille au sourire de perles examine la question de l’identité et de l’appartenance, des cicatrices laissées par un traumatisme, mais aussi du rapport à l’autre quand celui-ci ne voit en vous qu’une victime.
Un témoignage actuel et plus que jamais nécessaire.
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Livre lu dans le cadre de la masse critique Babelio non fiction de février. Merci aux Editions Les Escales pour cet envoi.
Lecture en duo avec Madame Ourse du blog Liseuse hyperfertile.
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Je ne comprenais pas son utilité. Aujourd’hui, je le déteste, je le honnis. C’est un mot net et efficace qui ne contient pas une once d’émotion. Il est impersonnel quand il devrait être profond ; froid et stérile quand il devrait être atroce. Ce mot est vide, il est factuel mais déloyal, il n’est qu’un artifice, le pire des mensonges.
Le mot « génocide » ne peut pas rendre justice à ce qu’il décrit – ce n’est pas son but.
1994. Rwanda. Clemantine a six ans quand elle doit fuir le foyer familial avec Claire sa soeur de quinze ans. Fuir le génocide. Tout quitter pour survivre. Sans savoir où aller. Pendant six ans, elles vont traverser sept pays d’Afrique. De camps de réfugiés en voyages dangereux, de rencontres en massacres. Un exil forcé qui les conduira aux Etats-Unis. Le début d’une nouvelle vie loin de leur famille, loin de leurs racines. Clemantine sera recueillie par une famille américaine qui lui donnera accès à une bonne école, puis à la prestigieuse Yale. Claire se retrouvera mère célibataire de trois enfants.
Il existe une expression en swahili, vita ni mwizi : « la guerre est une voleuse ». La destruction de notre environnement était sans limites. Au milieu d’habitants en état de choc, des cadavres jonchaient les rues. Des bombes explosaient partout. Les enfants étaient affamés. Toutes mes peurs étaient devenues réalité.
La fille au sourire de perles, c’est comme un conte. Mais pas un conte de fées. Un conte où le monstre à fuir est la guerre et ses horreurs. Un conte où la cruauté, la violence et la misère guetteront Clemantine et Claire à chaque étape de leur exil. Plus j’avançais dans ma lecture plus j’avais justement en tête cette image du conte, et à la fin du récit, Clemantine Wamariya évoque La fille au sourire de perles, un conte que lui racontait sa mère quand elle était petite. Je n’en dis pas plus, si vous souhaitez lire ce livre.
Dans ce livre, Clemantine Wamariya nous livre le récit de sa vie. Son témoignage du génocide rwandais. Souvenirs enfouis, et refoulés pour certains. Elle nous raconte sa fuite. L’exil. Le déracinement. La misère. La faim. La soif. La survie. Mais aussi la quête d’elle-même, de son identité et la reconstruction entamée lors de son arrivée aux Etats-Unis. Comment se relever quand on a connu l’horreur ? Une nouvelle épreuve à surmonter.
J’avais l’impression d’avoir été arrachée du sol. Je n’étais pas prête à être déracinée, je me sentais déjà morte et enterrée.
La construction du récit est très intéressante pour appréhender la profondeur et la puissance des propos de Clemantine Wamariya. En effet, elle a choisi d’alterner le récit de sa fuite du Rwanda avec celui de sa vie aux Etats-Unis. Chacun de ses deux récits, est entrecoupé de l’autre, mais cela reste chronologique. Cela permet des pauses dans l’horreur, et de comprendre la personne qu’elle devient. Progressivement.
Mon passé s’est effacé, il est devenu flou, confus et déformé. Je ne parvenais plus à distinguer le vrai du faux. Tout, même le présent, me paraissait contenir à la fois trop de choses et rien du tout. Le temps, de nouveau, refusait d’avancer de manière chronologique ; les pages du livre de ma vie étaient éparpillées, sans lien.
Le style de Clemantine Wamariya est pudique, mais les mots sont forts. Elle crie sa colère mais sans pour autant servir un récit larmoyant. Elle analyse sa personne, son être, ses réactions dans certaines situations. Ses blessures physiques, mais aussi les blessures de son âme. Déchirures profondes. Et le regard des autres. Ces autres qui voient en premier la victime de la guerre, et pas la femme qu’elle est.
La vie, la dignité, semblables à un édifice dont les briques s’effondraient, continuaient leur chemin vers l’anéantissement. Ce que nous traversions était à la fois si illogique et si quotidien que nous n’essayions même plus de relier les destructions en chaîne à une origine précise. On souffrait. On se sentait menacés. Quelqu’un nous infligeait une blessure.
Toutefois, avec sa manière de relater les faits, de parler d’elle-même, et par le choix des mots qu’elle emploie, Clemantine Wamariya maintient une certaine distance avec le lecteur. Sûrement sa façon de gérer son traumatisme et de se protéger en apposant un filtre sur certains passages. Pour atténuer l’horreur. Ou peut-être par pudeur, ou parce qu’elle a oublié consciemment. ou pas. Elle n’avait que six ans en 1994. Au lecteur de lire entre les lignes…
Je n’ai jamais été inatteignable. Souvent, l’histoire de ma vie me semble fragmentée, à l’image de perles sans cordon. Lorsque je fais appel à mes souvenirs, ils me paraissent chaque fois légèrement différents, et j’ai peur de me sentir définitivement perdue.
La fille au sourire de perles est un texte extrêmement fort et puissant. Qui crie l’horreur des massacres au Rwanda et ailleurs en Afrique, mais qui s’attache aussi à la reconstruction. A la vie après, et à l’espoir.
Un témoignage bouleversant, terriblement poignant.
Je Lui ai promis que si nous nous en sortions, je serais la meilleure enfant du monde, et la meilleure des sœurs. J’allais devenir tellement gentille et aimable et généreuse… mais je ne voulais pas mourir dans l’eau. Car on ne peut y laisser aucune trace.
J’ai récemment lu deux livres traitant de ce sujet, (écrits par des hommes), ce sera intéressant d’entendre la voix d’une femme! Merci pour ta chronique !!!😘
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C’est vraiment un livre intéressant !
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Magnifique chronique qui me donne terriblement envie !! Merci 😊
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Merci 😊
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Un roman marquant, qui m’a bouleversée. Parce que ce que décrit l’auteure est une réalité trop peu évoquée, taboue mais pas lointaine.
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Oui c’est tout à fait ça ! C’est tabou et pourtant toujours d’actualité dans certains pays d’Afrique….
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