Depuis mon cœur crevé je vais faire ça, raconter ta mort, ta maladie, ton agonie. Du jeudi 19 au lundi 23 décembre ; quatre jours, trois p’tits tours et puis s’en vont. Je vais relater dans le détail ta lutte, ton combat, blitzkrieg, parce que, putain, qu’est-ce que tu as été forte dans cette traversée de la fièvre et de la douleur. Médaillée, croix de guerre.
Camille mon envolée, Sophie Daull
Philippe Rey, 2015
Livre de Poche, 2016
Résumé éditeur :
Dans les semaines qui ont suivi la mort de sa fille Camille, 16 ans, emportée une veille de Noël après quatre jours d’une fièvre sidérante, Sophie Daull a commencé à écrire. Écrire pour ne pas oublier Camille, son regard « franc, droit, lumineux », les moments de complicité, les engueulades, les fous rires ; l’après, le vide, l’organisation des adieux, les ados qu’il faut consoler, les autres dont les gestes apaisent… Écrire pour rester debout, pour vivre quelques heures chaque jour en compagnie de l’enfant disparue, pour endiguer le raz de marée des pensées menaçantes.
Loin d’être l’épanchement d’une mère endeuillée ou un mausolée – puisque l’humour n’y perd pas ses droits –, ce texte est le roman d’une résistance à l’insupportable, où l’agencement des mots tient lieu de programme de survie : « la fabrication d’un belvédère d’où Camille et moi pouvons encore, radieuses, contempler le monde ».
« Dans les jours d’après, nous distribuerons tes soixante-dix-sept peluches, une par une ou deux par deux, à des fossés dans les campagnes, à des clairières, à des rochers. C’est joli, ces ours, ces lapins, ces petits chats abandonnés sur les tapis de mousse, prenant la pluie sous les marguerites. »
***
Camille.
L’enfant unique de Sophie.
Camille, elle avait seize ans quand elle s’est envolée. Brusquement. Une fièvre fulgurante. Une grippe selon les médecins débordés en cette période hivernale. La veille de Noël 2013.
Alors Sophie, quelques jours après les funérailles prend sa plume et écrit à Camille. Elle lui raconte ses derniers jours. Ses derniers instants. Son dernier souffle. La préparation de son enterrement. De la tournée des agences de pompes funèbres au choix de l’emplacement de la tombe au cimetière de Montreuil. En passant par l’autopsie. Et ses obsèques.
Tout. Tout de ce 19 décembre 2013 à ce 2 janvier 2014. Elle écrit sa peine, sa colère. Ses doutes. Ses mauvaises pensées aussi. Absolument tout.
Une nouvelle « mauvaise pensée » m’a assailli l’esprit : je me suis réjouie que nous n’ayons jamais partagé le plaisir de cuisiner. Parce que, tu vois, la cuisine n’est pas infestée de souvenirs insupportables. Je ne t’y ai jamais vue rater une pâte à crêpes, y éplucher des légumes, lire une recette, enfiler une manique pour mettre un plat au four, pas même y faire une vaisselle. Ou si peu. Ou si rarement. Assez peu en tout cas pour que je puisse en conserver le royaume sans m’y effondrer. Sans que j’inonde de larmes une cuillère en bois ou un verre doseur. C’est ça les « mauvaises pensées ». Tu verras, il y en a d’autres, elles participent à la dévastation de ta mort sans aucun filtre de pudeur, avec aplomb, avec cynisme – toutes ces pensées en embuscade qui escortent l’avancée de la charogne.
Sophie nous livre tout, sans fard. De la fête du nouvel an, aux visites des voisins. Du court séjour en Normandie entre Noël et le nouvel an aux médecins qui ne savent pas donner d’explications recevables. Et accepter les paroles des gens qui ne savent pas quoi vous dire. Ceux qui ne disent rien. Ceux qui voudraient qu’on pleure dans leurs bras. Alors qu’on ne sait pas soi-même ce qu’on veut. A part vivre sa peine.
Les gens ont des phrases toutes faites tirées de leurs manuels de consolation… Je ne veux pas être consolée. Je vis la coupure, la vie tranchée. C’est tout.
En alternant les chapitres de cette période avec ceux du moment où elle écrit, elle nous parle de son cheminement intérieur, de son rapport à sa nouvelle vie. Parce que Camille n’est plus là, mais il faut retourner au travail, se produire à nouveau sur scène.
Faut dire que ta maman a une sale tronche : poches, rides, cernes, le cheveu terne, kilos en moins, tous les plis vers le bas, et la démarche d’une très très vieille dame. J’ai vieilli. J’ai pris seize ans, tes seize ans, mon envolée. Papa, lui, ne marque pas, comme tu sais. Il est toujours aussi beau.
Sophie raconte aussi ce qu’est être désormais un parent qui n’a plus d’enfant. Parce que quand votre enfant est mort, cela ne porte pas de nom. Sophie a perdu son père deux ans plus tôt, elle est devenue orpheline. Quand Camille s’est envolée à son tour, elle est une mère qui a perdu son enfant. Pas de nom, pas d’adjectif pour ce nouvel état, si ce n’est de devoir continuer à vivre en étant mort un peu.
Une autre chose : nous n’avons pas de nom. Nous ne sommes ni veufs ni orphelins. Il n’existe pas de mot pour désigner celui ou celle qui a perdu son enfant. Je viens de faire un tour sur Internet : pas d’occurrence dans le dictionnaire, ailleurs on propose des suggestions toutes aussi farfelues les unes que les autres… Un papa répond sur un forum : « Si, j’ai un nom : je suis un mort vivant. »
Les mots de Sophie Daull quand elle évoque la souffrance et le courage de Camille dans ses derniers instants sont forts. On ressent au fond de nos tripes l’amour d’une mère à sa fille. Celui inconditionnel et infini. Celui qui est plus fort que les conflits. A travers les mots d’une mère, on voit les sourires d’une fille qui aime la vie, qui se bat contre la maladie, qui ne baisse pas les bras. A l’instar de Camille, Sophie non plus ne baisse pas dans cette épreuve. Elle se bat.
Camille mon envolée est un texte très fort, très poignant. Je l’ai lu faire sans faire de pause, les larmes aux yeux, en retenant mon souffle. Les mots de Sophie Daull sont si forts et si sincères. Elle n’essaye pas de s’apitoyer sur son sort, elle nous dit juste ce qu’il s’est passé, ce qu’elle ressent, et comment elle tente de remonter à la surface après la mort de Camille. Malgré son chagrin, elle garde son sens de l’humour. Sans jamais tomber dans le pathétique. Et cela rend le récit plus authentique et touchant encore.
Camille mon envolée est un texte sublime, un hommage à une personne aimée. Mais c’est aussi et surtout une histoire triste et injuste que Sophie Daull nous confie, sans jamais mettre le lecteur en situation de voyeurisme.
Camille mon envolée, c’est comme une lettre d’amour d’une mère à sa fille. Comme un cri d’amour dans une vie. Comme un hurlement de douleur dans la nuit.
C’est là que j’ai entendu sortir de ma gorge ces sons de bête, ces plaintes de vieille Africaine, de folle sicilienne, tu vois ?, ce genre de hurlements où quand tu vois ça dans les films ou les documentaires tu te dis, non, c’est trop !… Plusieurs nuits, ces cris sont sortis de mon ventre. Ça faisait un peu peur aux voisins. Ça me faisait peur.
Camille mon envolée est un livre de l’intime. Un témoignage éternel de l’amour d’une mère pour sa fille unique désormais envolée. Bouleversant.
Oh là là ! Ce livre me paraît bien émouvant. Mais la vie est faite de tout ça. ..
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Oui c’est la vraie vie, avec toutes les épreuves qu’elle met sur notre chemin…
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Que c’est dur ! Que j’ai pleuré … Oui, bouleversant.
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Tu as lu ses deux autres livres ?
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Non. Je suis restée à celui-ci. Je n’ai pas eu envie de lire le suivant sur le meurtre de sa mère …
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